Recruter sans discrimination devient possible grâce aux algorithmes (voir article précédent). Mais pour cela il est nécessaire d’accumuler de nombreuses données ce qui limite cette pratique aux grand groupes.
Prise de parole d’Emmanuel Stanislas pour le livre blanc annuel de l’EBG : Digital Marketing 2018. Article également disponible en ligne sur Lesechos.fr.
Attention à ne pas tomber dans le piège de la croyance aveugle en une logique qui aurait systématiquement raison, puisque scientifique. L’impression de réduction du risque produite par l’analyse statistique ne doit pas être perçue comme une vérité immuable qui ferait passer toutes les corrélations pour des causalités.
Cette approche mathématique n’est pas infaillible car la psychologie humaine n’est pas une science exacte, mais empreinte d’émotions et victime de biais cognitifs. L’homme n’est pas toujours un « homo economicus » doté d’un raisonnement rationnel constant, mais constitué de milliers de subtilités que les algorithmes mettront du temps à comprendre et assimiler.
L’humain, un profil encore trop complexe pour se reposer uniquement sur l’analyse des données
Plus le recrutement est spécifique et pointu, s’intégrant généralement dans un contexte de guerre des talents, et plus l’humain conservera sa valeur ajoutée par rapport à l’automatisation des processus dans la quête d’identification et de sélection des profils. Prenons l’exemple du Data Scientist, très recherché actuellement, avec un vivier restreint de talents divisé entre les jeunes diplômés de cette spécialité ou de plusieurs autres convergentes, et les cadres confirmés dont les compétences ont évolué progressivement vers ce métier. Une recherche de profils, au ciblage éparse, est encore complexe pour la machine qui aura des difficultés à agréger l’ensemble des compétences, techniques, comportementales, managériales, et « l’intelligence émotionnelle » qui fait de chaque candidat, une personne unique.
Aujourd’hui, de nombreuses données sont encore difficilement modélisables et l’examen approfondi d’une personnalité par des algorithmes lors de tests poussés ne saurait être suffisamment complet pour se passer du regard de l’homme. D’autant plus que pour produire des résultats probants, il est nécessaire d’alimenter les algorithmes avec de grands volumes de données, restreignant pour le moment leur utilisation aux grands groupes disposant d’une masse critique de salariés et de candidats.
La modélisation de données, un risque pour les entreprises
Et lorsque l’on dispose de suffisamment de données pour modéliser le profil du candidat parfait, n’y a-t-il pas un risque de ne recruter que des clones du salarié performant ? La diversité des profils nécessaire pour la complémentarité et l’émulation entre collaborateurs en prend un sacré coup. Pire encore, ce type de recrutement prédictif aurait pour effet d’inciter les entreprises à reproduire ce qu’elle maîtrise déjà , les faisant glisser vers l’immobilisme quand l’époque exige au contraire de la prospective et des prises de risque.
Il demeure enfin la problématique des données personnelles. La loi Informatique et Liberté exige que l’on collecte et traite des données avec un objectif déterminé, légitime et explicite alors que des quantités astronomiques d’informations sont le plus souvent rassemblées par les entreprises sans encadrement défini, avant même la conception des algorithmes. Avec l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, nul doute que la transparence des algorithmes de recrutement sera scrutée au plus près.
Emmanuel Stanislas : Fondateur du cabinet de recrutement Clémentine.
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