Recruter un profil star est bon pour la performance et l’attractivité de l’entreprise mais peut être risqué pour la cohésion d’équipe, cohésion qui doit être l’affaire de tous les membres du groupe. L’éclairage d’Emmanuel Stanislas (Clémentine) et de Robert Zuili (Profeel RH).
Les entreprises le disent dans toutes leurs annonces d’emploi : elles veulent les meilleurs, elles veulent des leaders, des champions, voire des étoiles… Recruter un profil « star » est non seulement bon pour la performance (on compte sur lui pour tirer la boîte vers le haut) mais encore, pour l’attractivité de l’employeur — quel candidat n’a pas envie de travailler dans une dream team ?
Les entreprises veulent donc les meilleurs mais surtout pas de divas. Ce profil est au-dessus du lot, certes, c’est un « bon », indéniablement, « sinon il serait sorti depuis longtemps mais il peut être imbuvable et dans ce cas, les dommages sont supérieurs à ses soi-disant bénéfices », remarque Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine. La présence d’une vedette au sein d’une équipe peut malmener sa cohésion si l’on n’inscrit pas son intégration « dans une logique de partage, sinon il y a un risque d’avoir quelqu’un qui écrase les autres —comme dans les familles, avec le bon élève », pointe-il. L’entreprise ne se satisfait pas de ses seuls bons résultats, elle attend qu’à son contact il y ait du transfert de compétences, de l’émulation. Le profil star doit donc jouer collectif et pas seulement chercher à briller et se contenter de réaliser sa feuille de route.
« Dans une équipe, qu’il y ait ou non un profil star, on est dans un schéma de coresponsabilité. » Robert Zuili, Profeel RH
Pourtant, la capacité du profil star à s’intégrer ne suffit pas. « Dans une équipe, qu’il y ait ou non un profil star, on est dans un schéma de coresponsabilité », souligne Robert Zuili, président et cofondateur de Profeel RH, application d’aide à la décision en matière de recrutement et de cohésion d’équipe. « La responsabilité est pleinement partagée or les pratiques historiques en matière d’évaluation de la personnalité pourraient nous amener à penser l’inverse », ajoute-t-il. Il faut donc s’intéresser aussi à la qualité des interactions au sein de l’équipe.
À la base, le groupe doit être capable de développer une compétence émotionnelle commune, ce que Robert Zuili nomme « adéquation émotionnelle ». Car ce qui fait sa cohésion c’est « la capacité de l’équipe à construire des boucles de rétroactions interpersonnelles favorables », explique-t-il. Ce point est crucial dans l’environnement actuel, taylorisé à l’extrême, avec des procédures perfectionnées qui ne suffisent pas à exploiter tout le potentiel du collectif.
Comme les cercles, ces boucles deviennent vertueuses ou vicieuses. « Elles se fondent, d’une part, sur la qualité des interactions entre les membres de l’équipe et d’autre part, sur la qualité de l’impact managérial, c’est itératif », précise-t-il.
« Le profil star doit être objectivé sur le collectif, pas sur son seul succès individuel. » Emmanuel Stanislas, Clémentine
Le manager doit fixer une ligne de conduite, à lui-même et à ses collaborateurs. Il doit par exemple continuer à considérer les autres équipiers de la même manière et également expliquer au champion pourquoi on le recrute. « Le profil star doit être objectivé sur le collectif, pas sur son seul succès individuel, son manager doit lui dire clairement ce qu’il attend de lui et poser des indicateurs précis », poursuit Emmanuel Stanislas.
« Il peut y avoir de la part du collectif de travail de la méfiance, de la mise à l’écart, de la jalousie, des défis permanents, des provocations, des remises en question ou encore, de la soumission vis-à -vis du profil star. » R.Z.
Les attitudes des uns et des autres contribuent à la force du groupe, ou à sa fragilité. « Le problème avec le profil star vient des risques d’altération de la performance collective. Ils sont plus nombreux car il peut y avoir de la part du collectif de travail de la méfiance, de la mise à l’écart, de la jalousie, des défis permanents, des provocations, des remises en question ou encore, de la soumission vis-à -vis du profil star », observe Robert Zuili. L’efficacité de cette personne dépend donc de sa capacité à être bien acceptée par le groupe.
Toutefois, au sein de l’équipe, il ne peut y avoir une star d’un côté et des indigents de l’autre, même si des personnes hors normes existent et peuvent, sans le vouloir, ternir les autres qui se retrouvent dans un en-deçà de ce qui est attendu dans leur métier.
« Le phénomène de partage des compétences permet la cohésion d’équipe. » E.S.
« Si dans l’équipe on se dit que ce profil star n’est pas un concurrent, c’est une chance. Une chance de pouvoir se dire par exemple qu’untel qui a travaillé chez Google et travaille maintenant avec moi va m’apporter un bénéfice considérable. Le phénomène de partage des compétences permet la cohésion d’équipe », note Emmanuel Stanislas.
La question de la cohésion d’équipe renvoie donc à la maturité émotionnelle du groupe : quelle est-elle pour accueillir une personne qui fait la différence sans pour autant créer du ressentiment ou faire l’indifférence ? La maturité émotionnelle de l’équipe crée du désir, de l’envie, de l’engagement, du partage, de la complicité, de la fierté. « C’est alors facteur de cohésion et ce profil star, comme un autre équipier, contribuera à tirer l’équipe vers le haut. Il peut être chef de file et légitimé dans ce rôle », indique Robert Zuili. Le talent du manager tient à sa capacité à améliorer la performance de l’équipe. « Il est le garant de la cohésion par une posture qui renforce les boucles vertueuses, au lieu de les détruire en divisant pour régner », complète-t-il.
L’âme humaine est assez intangible, certaines personnes ont besoin d’attirer la lumière. Cette lumière, il faut qu’elle rayonne et bénéficie à toute l’équipe. L’époque actuelle s’y prête peut-être plus que les précédentes. « Il y a aujourd’hui un appétit plus grand pour le bien-être au travail, l’heure n’est plus à la compétition. Cette ambiance générale est assez palpable même si des entreprises continuent de suggérer et de promouvoir la compétition interne », conclut Emmanuel Stanislas.
Par Sophie Gigardeau, journaliste indépendante.
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